Le réseau social X, propriété d'Elon Musk, laisse les marques cibler les utilisateur·rices en fonction de leurs « données sensibles », c'est-à-dire, entre autres, leurs convictions politiques, leur orientation sexuelle, leur origine ethnique ou encore leur religion. Dans son dernier rapport publié le 18 juin, l'ONG européenne AI Forensics a inspecté le référentiel des publicités de la plateforme, accessible librement. L'objectif étant de « déterminer si des ciblages ont été opérés en utilisant des informations considérées comme des catégories sensibles ». Grandes entreprises, banques, institutions publiques et organisations de la société civile... Le rapport, qui se base sur la période septembre 2023-mai 2025, montre que cela a été le cas pour plusieurs de leurs campagnes publicitaires.
« #gay », « Mahomet », « Greta Thunberg »... Des mots-clés pour cibler
Cette pratique de ciblage à partir des opinions politiques, de la couleur de peau, de la religion, etc. - tels que supposés par l'algorithme qui a profilé l'utilisateur·rice - est pourtant interdite, sauf sous certaines conditions très strictes. Le règlement européen sur les services numérique, ou Digital Service Act (DSA), et le règlement général de protection des données (RGPD), proscrivent en effet la publicité basée sur les données sensibles. La politique interne de X le précise également.
Le rapport d'AI Forensics publié ce 18 juin.
Le réseau social propose aux annonceurs un ciblage par mot-clé, basé sur les recherches, publications et interactions des utilisateur·rices. Ces mots-clés servent à inclure ou exclure certains profils des campagnes publicitaires. X propose également aux annonceurs une liste de plus de 10 000 sujets de conversation pour leur permettre de « viser rapidement des audiences en fonction des conversations auxquelles elles participent sur la plateforme ». Parmi ces sujets : « Affiliation politique : Rassemblement national », « Debout la France » ou « Die Linke », le parti de gauche allemand.
Le ciblage effectué par certaines marques n'a parfois rien de surprenant. Pour définir les profils exclus d'une partie de ses publicités, TotalEnergies a par exemple utilisé des noms de personnalités politiques et/ou engagées pour l'écologie : « Marie Toussaint », « Yannick Jadot », « Greta Thunberg », « Greenpeace »... Mais aussi relatifs à une religion, comme « Casher » ou « Mahomet ». Bref, si vous êtes considéré·e comme juif·ve et écolo du fait de votre activité sur le réseau, Total préfère ne pas vous adresser ses publicités. La compagnie aérienne saoudienne Saudia a de son côté sélectionné tout un champ lexical relatif au « ramadan ». Des partis politiques et des organisations de la société civile recourent également à cette pratique. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a ainsi ciblé les mots « juifs », « antisémitisme » et « edouardphilippe ». Les Jeunes écologistes ont ciblé notamment « Nupes ».
McDo ne veut pas s'adresser aux syndicalistes sur X
Les mots en lien avec la France insoumise ou le Rassemblement national sont récurrents, et utilisés parfois pour cibler, parfois pour exclure. Shein a utilisé « melenchon », « macron », « lfi », mais aussi « allah » et « dieu » pour orienter certaines de ses publicités. La banque Société générale a elle fait le choix d'exclure, entre autres « France insoumise », « Front national », « Zemmour », « Mélenchon » et « Lepen », tout comme les noms d'organisation de défense de l'environnement. Dans des campagnes de SNCF Voyageurs, « LFI » a également été exclu, ainsi qu'un vaste choix de mots en lien avec le conflit israélo-palestinien.
Les données sur l'éventuelle orientation sexuelle ne sont pas épargnées : le constructeur d'ordinateurs Dell a par exemple exclu « #gay » et « #lesbienne ». D'autres entreprises cherchent à éviter que leur communication atteigne leurs employés syndicalistes. McDonald's France a ainsi choisi d'exclure de certaines de ses publicités les internautes en lien avec « cgt mcdonald's idf » ou « collectif mcdroits », qui regroupe une partie de ses employé·es.
Quid de Facebook et Instagram
Des institutions publiques ont aussi eu recours à du ciblage en fonction de critères politiques : le compte de la Direction générale de la migration et des affaires intérieures, ainsi que celui de l'Agence exécutive européenne pour la santé et le numérique, deux instances de la Commission européenne, ont respectivement exclu entre autres les mots « Giorgia Meloni », « Marine Le Pen », « Viktor Orban » et « fascists » ou « communist »...
Dans un devoir de transparence, les plateformes numériques ont l'obligation de rendre publics les paramètres de ciblage principaux de leurs publicités - c'est sur ces éléments que se base le rapport. AI Forensics note toutefois que, contrairement à X qui rend publics les mots-clés utilisés, d'autres plateformes comme Facebook ou Instagram ne divulguent que des paramètres démographiques de base comme l'âge, le genre et la localisation. L'ONG encourage ces plateformes à adopter une véritable transparence, qui « permet un véritable contrôle public ». Afin de comprendre comment ces logiques algorithmiques nous enferment dans des cases, de savoir quelles entreprises ou organismes exclut qui et pourquoi, et de prendre conscience de la manière dont les réseaux sociaux vont valoriser ou invisibiliser le type d'information qui nous atteindra.